Chapitre 12

Le passage étant très étroit, Eugénie dut se plaquer contre la paroi pour se glisser de l’autre côté. La grotte dans laquelle elle émergea était lumineuse, assez exigüe et emplie du doux son de l’eau qui s’écoule. En suspension dans un coin tel un petit soleil, une boule de lumière dorée éclairait l’intérieur de ce curieux endroit de ses rayons doux et chauds. Eugénie avança de quelques pas et observa avec attention le décor surprenant qui s’offrait à ses yeux. Tout autour d’elle flottait une multitude de bulles de liquide de toutes les couleurs et il lui fallut baisser la tête pour ne pas heurter l’une d’elles. Les parois de roche étaient, là aussi, recouvertes de végétation d’un vert ardent, parsemée ici et là de fleurs aux couleurs éclatantes. Par endroit, des blocs de cristaux verts, rouges et bleus sortaient du sol et projetaient au plafond des rayons de lumière colorée. Dans le fond de la grotte, une cascade d’eau limpide se frayait un chemin au milieu des plantes, pour se jeter dans un bassin d’eau tourbillonnante. Elle entendit le bruissement des vêtements d’Oscar qui s’était glissé derrière elle et apparaissait à son tour dans la grotte.

− Et ben ! Décidément, on n’en a pas fini avec les surprises ! s’exclama-t-il en touchant du bout de son index une bulle de liquide jaune, qui rebondit sur son doigt et se mit à flotter dans la direction opposée.

− Qu’est-ce que c’est, à ton avis ? demanda-t-il. Et ça ? s’écria-t-il, en s’approchant du puits de pierre qui occupait le centre de la grotte et dont émanait un halo de lumière verte.

− Oscar, attention ! cria Eugénie. Mais le jeune garçon était trop rapide. Il heurta de plein fouet la paroi invisible qui entourait le puits et tomba à la renverse. Eugénie se précipita pour l’aider à se relever.

− Ça va ? Tu ne t’es pas fait mal ? demanda-t-elle.

− Ça va, ça va… bougonna-t-il, en se frottant le bas du dos. T’aurais pu me prévenir !

− J’ai essayé mais t‘as été trop vite !

− Désolé, mon jeune ami. Ephéa et moi sommes les seuls à pouvoir accéder au Puits sacré.

Oscar et Eugénie se retournèrent et tombèrent nez à nez avec Ephéa et un aquarealis d’un âge visiblement très avancé. Sa frêle silhouette était enveloppée dans une longue tunique végétale qui ne laissait entrevoir que deux bras fuselés. Tout comme Ephéa, il avait de longs cheveux tressés qui ressemblaient à des algues, mais les siens étaient d’un vert si foncé qu’ils semblaient presque noirs. Son visage à la peau diaphane et fripée était rehaussé de deux grands yeux, dont le vert émeraude n’avait rien perdu de son intensité. Son sourire malicieux avait quelque chose de presque enfantin et laissait deviner une vivacité d’esprit intacte.

− Voici Graphilius, notre Grand Mage, dit Ephéa.

− Bienvenue à vous, dit-il en hochant la tête en guise de salut. Je dois vous dire que jamais je n’aurais pensé accueillir un jour des humains en ces lieux.

Il s’approcha d’Eugénie et Oscar et se mit à les étudier avec attention, tournant autour d’eux pour mieux scruter chaque détail de leur apparence. Les deux jeunes gens, interdits et un peu gênés, n’osaient faire le moindre geste. Lorsqu’il eut terminé, il recula de quelques pas.

− Veuillez excuser ma curiosité mais, malgré mon grand âge, c’est la première fois que j’ai l’occasion de côtoyer des humains de si près, dit-il, les yeux brillants. Il est dommage, cependant, que cela soit dû à des circonstances aussi tragiques, ajouta-t-il et son visage s’assombrit.

− Savez-vous ce qu’il se passe ? demanda Eugénie. Toute une partie de la forêt a été dévastée. Nous avons vu des arbres morts à perte de vue de l’autre côté de la colline.

Le Grand Mage hocha tristement la tête.

− En effet, confirma-t-il. Un mal étrange se répand à travers la région, semant la mort et la destruction sur son passage. Pour la première fois, nous sommes face à un fléau contre lequel nos pouvoirs ne semblent pas suffisants.

Il fit un geste de la main et attira dans sa paume une bulle de liquide bleu qui flottait tout à côté. Il s’approcha du puits et y fit tomber la bulle dans un crépitement d’étincelles turquoise.

− Approchez, dit-il.

Ephéa et Eugénie le rejoignirent et prirent place à ses côtés mais Oscar, l’air méfiant, semblait hésiter. Le Grand Mage lui sourit.

− N’ayez crainte, jeune homme. Le Puits sacré vous est accessible, car je vous y invite.

Les sourcils froncés, Oscar avança avec précaution, les mains tendues devant lui. Ne rencontrant aucun obstacle, il vint s’installer à son tour près d’Eugénie. A l’intérieur du puits, le contenu de la bulle s’était transformé en une brume bleutée.

− Vous avez pris de grands risques pour nous rejoindre ici. Nous vous devons bien quelques explications, dit le Grand Mage. Et il se mit à faire tourner ses bras au-dessus du puits, entraînant la brume dans un tourbillon de plus en plus rapide.

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