Eugénie bondit hors de son lit et sortit de la pièce sur la pointe des pieds. Elle traversa le palier sans un bruit et tambourina à la porte de la chambre d’Oscar. Quelques secondes plus tard, le jeune garçon tout ensommeillé apparaissait sur le seuil en bâillant.
− T’as vu l’heure, Eugénie ? Il est quatre heures du matin !
− J’suis désolée, mais tu m’as dit de te prévenir s’il y avait un problème… Et bien, là, je crois qu’il y en a un !
Eugénie lui fit signe de la suivre et tous deux se faufilèrent à pas de loup dans la chambre de la jeune fille, qui referma la porte avec précaution.
− Oh la vache ! C’est quoi cette lumière chelou ? s’exclama Oscar, à présent parfaitement réveillé.
− J’en sais rien du tout…
Tous deux se tenaient debout au milieu de la pièce, interdits, la lumière bleutée faisant ressortir les cernes sur leurs visages fatigués.
− Faut aller voir ce que c’est ! reprit le jeune garçon d’un air décidé.
Il s’avança jusqu’à la porte de la salle de bains et s’apprêtait à en tourner la poignée lorsqu’Eugénie l’arrêta.
− Attends ! Elle ne te connaît pas. Si elle est réveillée, il vaut mieux que je passe en premier !
− Je te rappelle qu’elle ne te connaît pas non plus ! Elle dormait lorsque tu l’as ramassée, je te signale !
− Je te dis qu’on a été comme « connectées » lorsque je l’ai touchée. Je suis sûre qu’elle l’a senti comme moi !
Oscar soupira.
− Pfffff… C’est carrément dingue ton truc !… Enfin, vas-y d’abord, si tu veux ! Je te suis !
Il laissa passer la jeune fille qui, prenant une profonde inspiration, ouvrit la porte lentement. La lumière se fit plus intense et, lorsque la porte fut complètement ouverte, les deux adolescents furent aveuglés quelques instants. La clarté prenait sa source au cœur-même du vivarium qui brillait intensément, comme si un spot ultra-puissant se trouvait à l’intérieur.
Lorsque ses yeux se furent acclimatés à la luminosité de la pièce, Eugénie s’avança prudemment, suivie par Oscar. Ils se penchèrent pour observer l’intérieur du vivarium et restèrent bouche bée devant le spectacle qui s’offrait à leurs yeux.
La créature toujours endormie n’était plus allongée sur la boule de coton. Elle flottait quelques centimètres au-dessus, comme en apesanteur. La lumière bleutée émanait de la pierre minuscule qui ornait le collier qu’elle portait autour de son cou. Eugénie et Oscar ne pouvaient détourner leur regard, comme hypnotisés par le petit être qui semblait presque irréel et si paisible, dans son profond sommeil. Soudain, de violents tremblements se mirent à soulever son corps et la créature fut comme prise de convulsions.
− Qu’est-ce qui se passe ? s’écria Eugénie. Qu’est-ce qu’elle a ?
− J’en sais rien ! cria à son tour Oscar.
− Elle va mal, il faut faire quelque chose !
Sans écouter les mises en garde de son ami, Eugénie souleva le couvercle du vivarium, saisit le petit corps à deux mains et le sortit de la cage vitrée aussi vite que possible. Aussitôt, elle sentit son pouls s’accélérer et la douce chaleur l’envahit à nouveau. Le phénomène lui était à présent presque familier et elle ferma les yeux. Elle crut entendre Oscar l’appeler, mais le son de sa voix fut couvert par le bruit de la pluie qui faisait rage à l’extérieur, les gouttes s’abattant avec fracas sur les feuilles des arbres, tandis que le murmure du tonnerre grondait au loin. Malgré le tumulte, il lui sembla pourtant distinguer une voix cristalline. La voix semblait inquiète, elle appelait quelqu’un… Et devant ses paupières closes, Eugénie vit défiler une succession d’images, presque comme un film. Les images se succédaient à une vitesse vertigineuse, mais elle pouvait en absorber les moindres détails. Soudain, un souffle glacé transperça sa peau comme des milliers de lames de couteau. Elle se raidit sous la douleur et se mit à trembler à son tour. Elle sentit soudain ses jambes céder sous le poids de son corps. La sensation des deux bras qui l’étreignirent alors pour l’empêcher de tomber fut la dernière chose qu’elle ressentit avant de perdre connaissance.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle découvrit le visage paniqué d’Oscar penché au-dessus d’elle.
− Ca va ? Tu te sens comment ? Tu m’as fait une de ces peurs ! s’écria le jeune garçon, visiblement soulagé de voir son amie revenir à elle.
− Ca va… Mais, où est-elle ? Qu’est-ce que t’en as fait ? cria Eugénie en se relevant précipitamment.
− T’inquiète pas, je l’ai remise dans le vivarium. Je l’ai prise avec un gant de toilette et elle a arrêté de trembler. Elle dort toujours. Mais toi, tu te sens comment ? répéta-t-il, l’air inquiet.
− Je me sens bien. Vraiment, ajouta Eugénie pour le rassurer. Elle se précipita vers le lavabo, ouvrit le robinet, puis se mit à fouiller dans le premier tiroir de la commode.
− Tu peux me dire ce que tu fais ? l’interrogea Oscar.
− Il faut absolument la mettre dans l’eau chaude. A 40°C, exactement !… Mais où est ce foutu thermomètre de bain !!!… Ah, le voilà !
Elle sortit du tiroir le thermomètre en forme de poisson orange que sa maman utilisait lorsqu’elle était toute petite, et le plongea dans le lavabo presque plein d’eau.
− Et comment tu sais ça ? demanda anxieusement son ami.
− Je l’ai vu. C’était fou, un peu comme un rêve… Mais, j’ai vu, j’ai entendu des tas de choses… Elle s’appelle Ephéa. Et il y a plein d’autres créatures comme elle. Ils l’attendent, ils sont inquiets pour elle.
− Tu délires ?
− Ecoute ! Je sais que ça a l’air dingue, mais il faut que tu me croies. Je ne sais absolument pas comment ça marche… C’est peut-être une espèce de télépathie, j’en sais rien. En tous cas, il faut la mettre dans l’eau chaude, sinon, elle risque de mourir.
Elle vérifia la température affichée sur le ventre du poisson de plastique et se dirigea vers le vivarium. Elle en ouvrit le couvercle et attrapa la créature, dont seuls la tête et le haut du buste dépassaient du gant de toilette dans lequel elle était enroulée. Son pendentif continuait à émettre la puissante lumière bleue qui rayonnait dans toute la pièce. Sous le regard perplexe d’Oscar qui restait silencieux, Eugénie l’amena jusqu’au lavabo et la plongea délicatement dans l’eau chaude.
Au contact de l’eau, le pendentif cessa de briller instantanément et la salle de bains fut plongée dans l’obscurité. Oscar alluma la lumière et s’approcha d’Eugénie qui ne quittait pas du regard la créature à présent complètement immergée. Après quelques instants, le gant de toilette coula au fond du lavabo et le petit être, enfin libre, se mit à remonter doucement à la surface.
− Regarde ! Je crois qu’elle a bougé ! s’écria soudain Eugénie.
− T’es sûre ? demanda Oscar en observant de plus près. Ah oui ! Je l’ai vue aussi ! Elle a bougé ses pieds !
Tous les deux restèrent figés sur place, contemplant le petit corps bleuté qui semblait s’éveiller peu à peu, membre après membre. Enfin, ils virent les minuscules paupières bouger et s’ouvrir, dévoilant de magnifiques yeux vert émeraude. La créature sourit et se mit à tournoyer dans l’eau. Eugénie et Oscar, stupéfaits, ne pouvaient quitter des yeux le tourbillon bleu ainsi formé, qui agitait l’eau cristalline dans le lavabo. Au bout de quelques instants, le bleu se fit plus pâle et le tourbillon sembla décroître en intensité, jusqu’à disparaître tout à fait. Il ne restât alors plus dans le lavabo que le poisson de plastique qui flottait dans l’eau transparente, immobile et à peine tiède.
− Quoi ?!! Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Elle est où ?? s’écria Oscar, incrédule, en plongeant sa main dans l’eau, tâtonnant de-ci-de-là l’émail froid du lavabo à la recherche de la créature qui avait visiblement disparu. Nan, mais, Eugénie !!! T’as vu ça ? Mais c’est hallucinant !!!
Surpris du silence de son amie, il se retourna vers elle et la vit qui le regardait en silence, un sourire sur les lèvres.
− Eugénie ?…
− Oui, j’ai vu. Elle a dû partir… Mais, je sais où la trouver.
Chapitre 5
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